Les petites panneaux supposés dévoiler de grandes sagesses, qui circulent sur les réseaux sociaux, vous connaissez ?
Un jour, j'en ai vu un qui disait un truc du genre "quand tu t'énerves après tes parents qui ne comprennent rien à la technologie moderne, n'oublie pas qu'ils ont eu la patience de t'apprendre à marcher, à manger, à t'habiller... tu peux bien prendre du temps maintenant, à ton tour, pour eux." Cela m'avait fait sourire, puis je suis passée à autre chose.
Étrangement, ce panneau est pourtant resté dans un coin de ma tête.
Nos parents, quels qu'ils soient, sont à un moment de nos vies des êtres suprêmes. Puis on grandit, et on commence à réaliser petit à petit qu'ils ne sont que des humains, avec leurs forces et leurs failles, qui font sans doute du mieux qu'ils peuvent avec les cartes qu'ils ont en main.
Il m'est arrivé, comme à tout le monde je pense, d'imaginer brièvement, de temps à autres, le moment où mes parents seraient dans une maison dite "adaptée" aux personnes âgées. Mais bon, c'était pour dans longtemps hein, pas la peine de s'attarder sur cette idée, on aura tout le temps de voir ça. Ou de ne pas le voir d'ailleurs, puisque bon, tout le monde n'y va pas.
Ce que je n'avais jamais imaginé en revanche, jamais anticipé, c'est que l'un d'eux partirait avant l'autre, et qu'avant d'aller dans une maison de retraite, il y a un entre-deux.
Le jour où mon père s'est retrouvé seul, à 83 ans, je n'ai pas voulu voir tout de suite.
Je n'ai pas voulu voir qu'il y avait derrière son attitude plus qu'un homme accablé de chagrin. Durant 50 ans, ma mère, quelque peu autoritaire (je vois sourire ceux qui l'ont connue...), a organisé leur vie de couple, en posant des rails, comme des guides très stricts. J'ai toujours trouvé cela très dur, mais finalement, c'était aussi un cadre, une organisation. Et avec elle, ce cadre a disparu.
Au-delà de la tristesse dans laquelle m'a plongée la disparition de ma mère, j'ai dû réaliser et accepter que mon père était devenu un vieil homme. Cela a un peu comme été faire deux deuils en même temps : le deuil de ma maman, et le deuil de l'homme que mon papa a été.
A quel moment a-t-il commencé à vieillir ? je ne sais pas... nous étions tous concentrés sur les gros soucis de santé de ma mère, et même si elle se plaignait parfois de lui, nous ne l’écoutions pas trop et nous n'avons pas fait attention.
Et c'est là qu'est arrivé cet entre-deux : entre un homme totalement indépendant et capable de se prendre en charge, et un homme pour lequel il faut adapter les choses.
Il est facile de se dire : oui ben on adapte, et pis basta. Sauf que ce n'est pas si simple... Il est commode de s'insurger en regardant des reportages à la télé contre contre ces enfants indignes qui délaissent leurs vieux parents. Quand on est directement concerné, la réalité est bien différente. Rien dans nos existences n'est adapté à la prise en charge d'une personne âgée : ni nos habitats, ni nos modes de vies.
Nous vivons à 500 km l'un de l'autre ; le TGV devient mon meilleur ami, mais je ne peux guère me rendre auprès de mon père plus d'une fois toutes les 4 à 6 semaines, pour un week-end qui passe bien trop rapidement. L'emmener voir le médecin, l'ostéopathe, organiser le passage quotidien des infirmières, la venue d'un kiné, gérer sa paperasse... ça parait tout bête, mais allez donc le faire en étant loin ! je le fais, mais je peux vous garantir que ça n'est pas sans mal.
Et affronter tous ces gens bien-pensants qui croient bien faire et vous donnent leur avis tout fait sur le sujet...
Combien de fois ai-je entendu que je devrais revenir vivre dans sa région ? enfin, la région qui m'a vue grandir plutôt. Et mon boulot, j'en fais quoi ? celui de mon conjoint ? la vie que nous avons bâtie là où nous sommes ? On envoie tout balader ? je ne crois pas non... ce n'est pas ce que je veux, et je sais que ce n’est pas ce que voudrait mon père non plus. Il m'a toujours soutenue face aux échecs. Il m'a toujours encouragée, s'est toujours sincèrement réjoui de mes réussites scolaires, sociales, professionnelles... ce n'est certainement pas pour me voir tout lâcher maintenant, même pour lui. C'est une réalité, et je ne pense pas que cela fasse de moi une égoïste.
Certains pensent au contraire que je devrais le prendre avec moi. Ah ben oui, en voilà une bonne idée ! le déraciner de sa maison, de son jardin, de ses amis... parce que oui, même âgé, quand on eu une vie sociale comme celle de mon père, que l'on est la gentillesse personnifiée, on a des amis.
Ce que ces gens me demandent finalement, c'est d'arracher mon père à son environnement, de lui enlever tous ses repères, de le transférer dans une maison qui n'est pas la sienne et où il passerait toutes ses journées seul puisque nous travaillons, dans une ville où il ne connait personne. En voilà un sacré bon plan !
Enfin, il y a l'immense majorité des gens qui me "conseillent" de le placer dans une maison de retraite. Ce qu'ils ne comprennent pas, c'est que si je fais partir mon père de sa maison, je le tue. D'une façon légale certes, mais ce serait ni plus ni moins qu'un meurtre. Cette maison, il l'a faite construire avec ma mère, ils en ont bavé des ronds de chapeau pour la payer (se lancer dans la construction en 1968, en étant ouvriers... fallait être motivés), ils y ont vécu des choses difficiles et des choses magnifiques...
Aller chercher son pain tous les matins, faire son tour de marché deux fois par semaine, prendre un café chaque jour avec "son pote", c'est sa routine, les derniers guides qui lui restent. Cultiver son jardin, même si ça lui prend 4 fois plus de temps qu'avant, c'est ce qui le fait bouger et contribue à lui garantir une forme de mobilité.
Et les gens voudraient que je lui enlève tout ça ? mais quel genre de fille je serais si je faisais ça ? je vais vous le dire moi, ce que je serais : une salope. Ou une immonde garce, au choix.
Il est plus que difficile de lui faire comprendre qu'il doit renoncer à certaines choses, pour sa sécurité, comme continuer à conduire sa voiture. Je sais aussi que s'il a un accident, ou s'il en cause un, les gens (toujours eux) me tiendront pour responsable. Autant vous le dire tout de suite hein, je n'aurai pas besoin de cela pour me sentir coupable. Sauf que retirer un peu d'autonomie à son parent, c'est lui faire de la peine, et ce n'est pas quelque chose que j'accepte. Il est tellement aisé de donner des leçons quand on n'est pas personnellement, émotionnellement, impliqué !
Même si sa mémoire vacille parfois -souvent-, il n'est pas sénile, alors je tente de m'organiser au mieux. Il n'y a pas de solution toute faite, et sans doute aucune n'est idéale. J'essaie d'agir pour que lui se sente bien.
Mon père a été un papa formidable ; m'occuper de lui n'est pas une corvée, mais un juste retour des choses. Il est seulement difficile de l'accompagner au crépuscule de sa vie, en croisant fort les doigts pour que la nuit ne tombe pas trop vite.
Chaque rencontre est d'une ambivalence sans nom : être tellement heureuse de le voir et si triste de constater qu'il est comme la flamme d'une bougie qui vacille en se consumant lentement. C'est à chaque fois un peu de mon coeur qui saigne.
Les jours où il est un peu plus perdu que les autres sont les plus difficiles. Ceux où il retrouve son humour sont un baume apaisant.
Il faut s'habituer à cela, se dire qu'il n'est plus tout à fait le même, et pas tout à fait un autre.
Je sais que je ne suis pas la seule à être confrontée à la vieillesse d'un parent. Les questions et les doutes qui me rongent l'âme sont communs à bien d'autres personnes.
Alors par pitié... la prochaine fois qu'on vous parlera d'un "enfant indigne" comme je l'évoquais plus haut... ne le jugez pas sans savoir. Et souvenez-vous, ce que vous pensez être bien ou mieux, ne l'est pas forcément... alors respectez les choix des familles et si vraiment vous voulez vous rendre utiles : soutenez-les, aidez-les au lieu de les juger.
Un jour, j'en ai vu un qui disait un truc du genre "quand tu t'énerves après tes parents qui ne comprennent rien à la technologie moderne, n'oublie pas qu'ils ont eu la patience de t'apprendre à marcher, à manger, à t'habiller... tu peux bien prendre du temps maintenant, à ton tour, pour eux." Cela m'avait fait sourire, puis je suis passée à autre chose.
Étrangement, ce panneau est pourtant resté dans un coin de ma tête.
Nos parents, quels qu'ils soient, sont à un moment de nos vies des êtres suprêmes. Puis on grandit, et on commence à réaliser petit à petit qu'ils ne sont que des humains, avec leurs forces et leurs failles, qui font sans doute du mieux qu'ils peuvent avec les cartes qu'ils ont en main.
Il m'est arrivé, comme à tout le monde je pense, d'imaginer brièvement, de temps à autres, le moment où mes parents seraient dans une maison dite "adaptée" aux personnes âgées. Mais bon, c'était pour dans longtemps hein, pas la peine de s'attarder sur cette idée, on aura tout le temps de voir ça. Ou de ne pas le voir d'ailleurs, puisque bon, tout le monde n'y va pas.
Ce que je n'avais jamais imaginé en revanche, jamais anticipé, c'est que l'un d'eux partirait avant l'autre, et qu'avant d'aller dans une maison de retraite, il y a un entre-deux.
Le jour où mon père s'est retrouvé seul, à 83 ans, je n'ai pas voulu voir tout de suite.
Je n'ai pas voulu voir qu'il y avait derrière son attitude plus qu'un homme accablé de chagrin. Durant 50 ans, ma mère, quelque peu autoritaire (je vois sourire ceux qui l'ont connue...), a organisé leur vie de couple, en posant des rails, comme des guides très stricts. J'ai toujours trouvé cela très dur, mais finalement, c'était aussi un cadre, une organisation. Et avec elle, ce cadre a disparu.
Au-delà de la tristesse dans laquelle m'a plongée la disparition de ma mère, j'ai dû réaliser et accepter que mon père était devenu un vieil homme. Cela a un peu comme été faire deux deuils en même temps : le deuil de ma maman, et le deuil de l'homme que mon papa a été.
A quel moment a-t-il commencé à vieillir ? je ne sais pas... nous étions tous concentrés sur les gros soucis de santé de ma mère, et même si elle se plaignait parfois de lui, nous ne l’écoutions pas trop et nous n'avons pas fait attention.
Et c'est là qu'est arrivé cet entre-deux : entre un homme totalement indépendant et capable de se prendre en charge, et un homme pour lequel il faut adapter les choses.
Il est facile de se dire : oui ben on adapte, et pis basta. Sauf que ce n'est pas si simple... Il est commode de s'insurger en regardant des reportages à la télé contre contre ces enfants indignes qui délaissent leurs vieux parents. Quand on est directement concerné, la réalité est bien différente. Rien dans nos existences n'est adapté à la prise en charge d'une personne âgée : ni nos habitats, ni nos modes de vies.
Nous vivons à 500 km l'un de l'autre ; le TGV devient mon meilleur ami, mais je ne peux guère me rendre auprès de mon père plus d'une fois toutes les 4 à 6 semaines, pour un week-end qui passe bien trop rapidement. L'emmener voir le médecin, l'ostéopathe, organiser le passage quotidien des infirmières, la venue d'un kiné, gérer sa paperasse... ça parait tout bête, mais allez donc le faire en étant loin ! je le fais, mais je peux vous garantir que ça n'est pas sans mal.
Et affronter tous ces gens bien-pensants qui croient bien faire et vous donnent leur avis tout fait sur le sujet...
Combien de fois ai-je entendu que je devrais revenir vivre dans sa région ? enfin, la région qui m'a vue grandir plutôt. Et mon boulot, j'en fais quoi ? celui de mon conjoint ? la vie que nous avons bâtie là où nous sommes ? On envoie tout balader ? je ne crois pas non... ce n'est pas ce que je veux, et je sais que ce n’est pas ce que voudrait mon père non plus. Il m'a toujours soutenue face aux échecs. Il m'a toujours encouragée, s'est toujours sincèrement réjoui de mes réussites scolaires, sociales, professionnelles... ce n'est certainement pas pour me voir tout lâcher maintenant, même pour lui. C'est une réalité, et je ne pense pas que cela fasse de moi une égoïste.
Certains pensent au contraire que je devrais le prendre avec moi. Ah ben oui, en voilà une bonne idée ! le déraciner de sa maison, de son jardin, de ses amis... parce que oui, même âgé, quand on eu une vie sociale comme celle de mon père, que l'on est la gentillesse personnifiée, on a des amis.
Ce que ces gens me demandent finalement, c'est d'arracher mon père à son environnement, de lui enlever tous ses repères, de le transférer dans une maison qui n'est pas la sienne et où il passerait toutes ses journées seul puisque nous travaillons, dans une ville où il ne connait personne. En voilà un sacré bon plan !
Enfin, il y a l'immense majorité des gens qui me "conseillent" de le placer dans une maison de retraite. Ce qu'ils ne comprennent pas, c'est que si je fais partir mon père de sa maison, je le tue. D'une façon légale certes, mais ce serait ni plus ni moins qu'un meurtre. Cette maison, il l'a faite construire avec ma mère, ils en ont bavé des ronds de chapeau pour la payer (se lancer dans la construction en 1968, en étant ouvriers... fallait être motivés), ils y ont vécu des choses difficiles et des choses magnifiques...
Aller chercher son pain tous les matins, faire son tour de marché deux fois par semaine, prendre un café chaque jour avec "son pote", c'est sa routine, les derniers guides qui lui restent. Cultiver son jardin, même si ça lui prend 4 fois plus de temps qu'avant, c'est ce qui le fait bouger et contribue à lui garantir une forme de mobilité.
Et les gens voudraient que je lui enlève tout ça ? mais quel genre de fille je serais si je faisais ça ? je vais vous le dire moi, ce que je serais : une salope. Ou une immonde garce, au choix.
Il est plus que difficile de lui faire comprendre qu'il doit renoncer à certaines choses, pour sa sécurité, comme continuer à conduire sa voiture. Je sais aussi que s'il a un accident, ou s'il en cause un, les gens (toujours eux) me tiendront pour responsable. Autant vous le dire tout de suite hein, je n'aurai pas besoin de cela pour me sentir coupable. Sauf que retirer un peu d'autonomie à son parent, c'est lui faire de la peine, et ce n'est pas quelque chose que j'accepte. Il est tellement aisé de donner des leçons quand on n'est pas personnellement, émotionnellement, impliqué !
Même si sa mémoire vacille parfois -souvent-, il n'est pas sénile, alors je tente de m'organiser au mieux. Il n'y a pas de solution toute faite, et sans doute aucune n'est idéale. J'essaie d'agir pour que lui se sente bien.
Mon père a été un papa formidable ; m'occuper de lui n'est pas une corvée, mais un juste retour des choses. Il est seulement difficile de l'accompagner au crépuscule de sa vie, en croisant fort les doigts pour que la nuit ne tombe pas trop vite.
Chaque rencontre est d'une ambivalence sans nom : être tellement heureuse de le voir et si triste de constater qu'il est comme la flamme d'une bougie qui vacille en se consumant lentement. C'est à chaque fois un peu de mon coeur qui saigne.
Les jours où il est un peu plus perdu que les autres sont les plus difficiles. Ceux où il retrouve son humour sont un baume apaisant.
Il faut s'habituer à cela, se dire qu'il n'est plus tout à fait le même, et pas tout à fait un autre.
Je sais que je ne suis pas la seule à être confrontée à la vieillesse d'un parent. Les questions et les doutes qui me rongent l'âme sont communs à bien d'autres personnes.
Alors par pitié... la prochaine fois qu'on vous parlera d'un "enfant indigne" comme je l'évoquais plus haut... ne le jugez pas sans savoir. Et souvenez-vous, ce que vous pensez être bien ou mieux, ne l'est pas forcément... alors respectez les choix des familles et si vraiment vous voulez vous rendre utiles : soutenez-les, aidez-les au lieu de les juger.
Merci pour ce très beau texte sur un sujet qui nous touche (ou touchera) tous.
RépondreSupprimerLe temps qui passe... nous n'en voyons pas toutes les conséquences.
SupprimerMerci de ton commentaire 😊