L'expérience de la Justice

Etre juré d'assises est une expérience. Effrayante à priori, elle sera enrichissante si l'on accepte de remiser nos certitudes au placard.

Le 1er jour, nous sommes tous là, 40 citoyens inscrits sur les listes électorales : tous âges, tous milieux, toutes professions confondus. Même les plus hardis d'entre nous n'en mènent pas large. La salle d'audience est solennelle, la révision de la liste des jurés aussi. La Présidente et ses assesseurs sont en tenue, bien qu'il n'y ait pas encore de procès. Nous ne sommes coupables de rien, et pourtant nous ressentons tous un immense stress, une angoisse latente.

Déjà, des affinités se créent entre jurés, des groupes émergent. On se sent moins seul.

On nous offre la possibilité de visiter la prison. J'accepte, en me disant que je n'ai pas pour projet de m'y rendre autrement, et que cela serait sans doute l'occasion de lever le voile sur cette image un peu fantasmée du milieu carcéral.
Je n'avais pas vraiment prévu que l'on croiserait les détenus, et que les détenus ne sont que des êtres humains, quelles que soient les conneries (monstrueuses pour certains) qui les ont conduit ici pour 5, 10, 15 ou 30 ans. Certains ont un regard un peu hagard, mais la plupart ne sont pas différents de Monsieur Tout le Monde.
La visite nous montre l'infirmerie, avec un personnel volontaire et dévoué. Nous voyons aussi une cellule d'isolement et une disciplinaire. Ce n'est qu'une cage, enfermée entre des murs. La mince ouverture donne une vue sur un autre mur, à peine distant d'un mètre... Tout est propre, aseptisé et terriblement déshumanisant.
Nous faisons un tour par les ateliers. Traversée de la cours, vue du terrain et de la salle de sport et arrivée au lieu de travail. Noir, sombre. Pas de fenêtre, pas de vue sur l'extérieur, seulement des grilles. Celui qui travaille ici n'a rien d'autre à voir que sa machine. Je vois que certains ont décoré leur poste de travail. J'aperçois le tableau d'un cheval... combien de temps restera enfermé ici celui qui rêve de galoper en liberté ? qu'a-t-il fait ? je l'ignore.

Nous ressortons, un peu groggy. Le soleil brille, éclatant. De l'intérieur, même dans la cour, on s'en rend à peine compte. A croire que même lui évite cet endroit. La prison est vraiment une punition. Demain, si je suis retenue au procès, je saurai à quoi je condamne un homme si je participe à l'envoyer en prison.

Deuxième jour, ouverture du procès. J'imagine l'affaire à la simple vue des victimes... et tout bascule à l'arrivée de l'accusé. Il ne correspondait en rien à ce que j'avais imaginé. Je ne suis finalement pas tirée au sort, soulagée et vaguement déçue.

Semaine suivante. J'apprends que l'accusé, écrasant de sa présence le Tribunal lors de son arrivée, a été condamné à 8 ans de prison, pour viol.La nouvelle affaire jugée est encore une affaire de viol. Sordide. Cette fois, l'accusé correspond physiquement à l'image que je pouvais en avoir. Pas son parcours, ni ses actes. Je ne suis pas retenue non plus pour ce procès, mais je reste à la lecture de l'acte d'accusation. Je quitte la salle avec une vague nausée, et l'envie de serrer contre mon coeur ceux que j'aime, comme si cela pouvait les préserver.

Troisième affaire, un braquage. Cette fois, je suis retenue, premier juré de surcroît. Je suis rassurée, je vais participer à un procès. Après toute cette tension, le contraire aurait été frustrant. J'imagine encore un scénario... qui vole en éclat à l'arrivée de l'accusé. Il s'agit d'un homme ordinaire, avec une vie ordinaire. Un jour, pour diverses raisons que lui même n'explique pas, il a basculé. Bon père, bon fils, bon mari... Il pourrait être n'importe lequel d'entre nous. Il pleure parfois. La victime aussi, son traumatisme est là, et sera là probablement jusqu'à la fin de ses jours.

Comment se montrer juste face à 2 vies brisées ? peut-on accabler celui qui a dérapé ? peut-on nier la souffrance de la victime ? Pourtant, parfois, le procès a un aspect cocasse, des situations donnent envie de rire.

Lors des délibérations, en tant que premier juré, je dois m'exprimer la première. Exercice délicat, car je sais bien que ce que je vais dire va influencer tous les autres, en empathie ou en opposition.
Chacun s'exprime, nous procédons au vote, la peine est prononcée. J'ai agi en mon âme et conscience.
Je note avec étonnement que les personnes avec lesquelles j'avais le plus d'affinités avaient peu ou prou la même analyse que moi. Comme quoi, les groupes ne se font pas complètement par hasard...

J'en suis ressortie la même, et pourtant un peu différente. L'image que j'avais de la Justice était fausse. 

Finalement, il s'agit d'un monde intensément humain. Même en prison, les gardiens sont avant tout des hommes et des femmes dotés d'une immense, incommensurable humanité.La Juge même, m'a montré, nous a montré, que son métier est celui d'une humanité exacerbée.

Oh bien sûr, je ne suis pas naïve, il doit aussi en exister d'horribles... il doit bien y avoir des gardiens, des juges, des médecins qui mériteraient d'être de l'autre côté.

J'aurai appris que finalement, il n'y a pas les bons d'un côté et les méchants de l'autre. La Vérité n'existe pas, il existe une vérité. Des hommes, des femmes, qui tombent du mauvais côté. Fruit du hasard, de mauvaise rencontre, de solitude, de malchance, d'égocentrisme exacerbé ou de pathologies diverses, leur chute pourrait être la notre. Nous pourrions, tous, être un jour à leur place.

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