Mon petit témoignage sur le harcèlement scolaire... c'est d'actualité !

Loin de moi l'idée de vouloir faire du Zola, mais en cette journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire, je ne pouvais pas ne rien dire sur le sujet.



J'ai été harcelée à l'école. Loooongtemps.

Dans les discours favoris des yakafocons, on entend souvent dire que la victime l'a un peu (beaucoup) cherché, c'est vrai quoi, il n'y a pas de fumée sans feu.

Moi, j'étais juste une petite fille sage, habituée dès avant ma naissance à ne pas bouger une oreille (j'ai souvent entendu ma mère raconter qu'elle donnait de petites tapes sur son ventre quand je bougeais à l'intérieur en me disant de me calmer... donc oui, apprendre à ne pas bouger même à l'encontre de mes besoins physiologiques était profondément ancré en moi).
OK, j'étais habillée comme une petite vieille (comme si j'avais eu le choix de mes vêtements) et coiffée à la Mireille Matthieu (glamour).
Ok, j'étais très grande pour mon âge et ma génération, toute maigre, pas douée en sport (mes fabuleuses capacités de coordination ne datent pas d'aujourd'hui), pas rapide en course, avec de magnifiques lunettes (on était dans les années 80... imaginez la tronche des lunettes !)

J'étais gentille, je ne cherchais pas spécialement à faire d'histoires et j'étais plutôt bonne élève.
J'aurai pu traverser toutes ces années sans histoire, en étant juste la fille qu'on ne remarquait pas.
Sauf que non, je n'ai pas eu cette chance.

Je ne me souviens pas vraiment de la maternelle, mais je sais que déjà au CP, j'étais mise à l'écart. Mais j'avais une super copine, la seule de cette époque dont j'ai aujourd'hui le numéro de téléphone. Et à deux, on est toujours plus forts !
Sauf que patatras ! ses parents l'ont sortie du bronx qu'on endurait toutes les deux, entre camarades malfaisants et adultes aveugles ou même incitateurs (j'y reviendrais plus tard).
Et à partir de là, l'enfer s'est déchainé.

J'en ai subi des vertes et des pas mûres. Mes affaires scolaires disparaissaient régulièrement de ma trousse, avec en prime engueulades à la maison pour avoir perdu mes affaires. Oui, aujourd'hui, les parents ont tendance à accuser les autres beaucoup trop vite, à l'époque on était plutôt dans l'inverse, du moins chez moi : c'était forcément ma faute. Je suis sure qu'un juste milieu existe, m'enfin bon, c'était comme ça.

J'étais affublée de surnoms ridicules, orduriers, et très méchants. Ne comptez pas sur moi pour vous les dire, car encore aujourd'hui, je ne les digère pas. Non mais oh, je ne vais pas tout vous dévoiler, mon but n'est pas de donner des détails scabreux hein, y'a les tabloids à la française pour ça !

Il y avait un grand jeu, qui consistait, dans le meilleur des cas, à ne pas me parler, et sinon à, je cite "m'emmerder". J'essuyais alors gifles, insultes, moqueries (putain de lunettes !), coups de pieds et autres joyeusetés. Cela pouvait durer des jours. Certains élèves étaient a priori mes copains, mais dans ces périodes là, soit ils suivaient le mouvement, soient ils m'évitaient, pour ne pas risquer de subir le même traitement. Ah bah oui, ça ne faisait sans doute pas très envie tout ça !! Ce sont les mêmes qui adoraient jouer aux super-héros qui sauvent le monde, sauf que dans la vraie vie, ils n'osaient même pas s'interposer face aux petits caïds. Bref.

J'ai essayé d'en parler à la maison, mais encore une fois, il faut se dire qu'il y a plus de 30 ans, la seule réponse était qu'il fallait apprendre à se défendre.

Alors j'ai encaissé. Et puis, tout le monde le sait, ça a toujours existé, ça va, ce sont des histoires d'enfants, rien de grave quoi.

Est arrivé le collège.Alors, ô joie !, je ne suis pas allée dans le même établissement que les autres. Sauf que... tout a recommencé. Je me souviens très bien de comment tout cela a débuté, en 6eme, quelques temps après la rentrée. Il s'avère que sur un test de lecture, j'avais obtenu les meilleurs résultats du collège. Du haut de mes 11 ans, je lisais déjà beaucoup plus vite qu'une grande majorité d'adultes. Les autres -ceux de ma classe- ne me l'ont pas pardonné.
Et rebelotte : les insultes, les crachats, les coups, les moqueries... heureusement, j'avais cette fois quelques amis, des losers comme moi, mais qui au moins me soutenaient et me consolaient parfois.

Ahlala, quelle période heureuse : entre l'interdiction familiale de m'épiler et de porter des pantalons (encore heureux que je ne sois pas brune), cette foutue révolution hormonale (mmmmm) et tout et tout, j'en ai bien bavé.

Je vous épargne les détails, on s'en fout, et finalement ça ne change pas vraiment les choses.

Que dire des enseignants ? En élémentaire, ils ne voyaient rien, ne disaient rien, d'autant que les meneurs, les fortes têtes, étaient des "enfants de" (parents influents, mais faut pas le dire alors on va faire comme si je ne l'avais pas dit hein !).
Au collège, il y avait déjà plus de bienveillance, à part quelques uns, dont une -la prof d'histoire-géo de 5eme, je ne m'en suis jamais remise !- qui prenait visiblement un plaisir à humilier certains élèves (devinez qui était sa victime favorite dans ma classe...).
Et que se passe-t-il quand vous êtes la tête de turc des autres et qu'un enseignant (un adulte respectable donc) vous humilie devant toute la classe ? ben ça renforce le sentiment d'impunité des p'tits cons, qui en plus se sentent valorisés et confortés dans leur façon d'être. Malheur à vous si vous laissez perler des larmes ! vous vous prendrez alors un magistral "chiale donc, tu pisseras moins ! asséné devant une classe hilare qui ne va pas se priver de vous en reparler à la récré avec toute l'empathie que l'on peut imaginer.

Tout a enfin changé en 4eme. Oui oui, en 4eme. J'ai donc encaissé 7 ans de harcèlements sans relâche. Quand je vous dis que c'est long, c'est que c'est long !!!

Mon année de 4eme... tout a changé. Pourquoi ? Plusieurs choses se sont produites.
Déjà, j'ai changé de classe, et je me suis retrouvée dans un groupe avec un niveau scolaire bien meilleur et une certaine finesse d'esprit. Je n'étais donc plus stigmatisée comme "l'intello", mais je devenais un membre à part entière du groupe classe.
On nous a également fait passer des tests de type WISC. Pour ceux qui ne savent pas ce que c'est, comme je suis super sympa, je vous explique : ce sont des tests visant à déterminer le QI d'une personne, dans toutes ses dimensions : affectives, sociales, de compréhension etc.
Les résultats ont fait que j'ai été vue différemment par beaucoup d'adultes du collège : je n'étais plus cette petite chose effacée et timide, mais je devenais une môme avec un potentiel du feu de Dieu (euh non, pas du feu de Dieu, faut pas déconner, j'étais dans le privé catholique... m'enfin vous voyez ce que je veux dire). Leur façon de me prendre scolairement en charge a changé, en mieux, en beaucoup mieux.
Et puis surtout, un prof d'EPS a été témoin d'une scène où j'étais une fois de plus malmenée. Bah oui, deux de mes tourmenteurs s'étaient montrées moins discrètes, et le prof a tout vu. Il m'a appelée discrètement, m'a interrogée, et j'ai vidé mon sac. A partir de là, ça a été terminé.

Au lycée, j’ai fait en sorte de ne pas me mêler aux autres (ého, on ne sait jamais hein ,chat échaudé...). Je suis du coup complètement passée à côté de ces 3 années, c'est d'ailleurs l'un de mes grands regrets. Et puis ensuite, j'ai décidé de vivre au maximum en fonction de ce que je suis. D'exprimer mes idées, de me défouler, d'être aussi vivante que possible.

On grandit malgré tout. On évolue. Aujourd'hui, je ne me laisse plus marcher sur les pieds comme ça, j'ai compris comment fonctionnent les choses, et même si j'ai une profonde aversion du conflit, je n'hésite pas à rembarrer les emmerdeurs (ah ben oui, hein, même si je n'en suis pas victime, je vois bien que le harcèlement au travail, ça existe aussi... hiérarchique, entre pair... que du bonheur !).
Le passé laisse des traces. De profonds sillons, des failles invisibles à l'oeil nu, mais qui sont bien là. On se construit sur ces failles-là, et je sais de source sûre que ce ne sont pas les fondations les plus solides qui soient.

J'ai bien conscience que je livre là un énième témoignage sur le sujet... Environ 10 % des élèves reconnaissent être ou avoir été harcelés. Il faut rajouter ceux qui ont honte de l'avouer, et ça fait un bon gros paquet de gens qu'on abime durablement.
En fait, j'aimerai vraiment lire les témoignages de certains harceleurs. Pourquoi ? comment se sentaient-ils ? forts, puissants ? et quel regard portent-ils sur leurs actes 30 ou 40 ans après ?

Enfin je voudrais dire aux Anne, Coralie, Sylvie, Valérie, Marion, Yasmine, Céline, Laurent, Philippe, Jean-Luc et tous ceux qui m'ont fait tant de mal : vous ne m'avez pas brisée. Oui vous m'avez laissé des cicatrices, mais vous ne m'avez pas brisée. Je suis une femme heureuse, épanouie. J'ai deux enfants merveilleux et un super mari. J'ai des amis, une vie sociale riche. J'ai un bon job (même s'il me sort parfois par les yeux, mais ça, c'est une autre histoire). J'ai réussi à trouver ma place.
Sans aucun esprit revanchard (quoi que...), je vous espère bien plus abimés que moi. De toutes façons, la laideur de votre âme d'enfant transparait sûrement dans l'adulte que vous êtes aujourd'hui. Bien fait pour vous.

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