Un autre regard -le mien !- sur la Première Guerre Mondiale

Congés de Toussaint 2018, quoi de plus approprié que d'aller visiter le musée de la Grande Guerre ? c'est de saison parait-il, et puis, on fête le centenaire de l'armistice, c'est l'occasion de se replonger un peu dans le passé.
Les enfants le connaissent déjà, pour s'y être rendus avec l'école et à titre privé, mais semblent plutôt contents d'y retourner... Il est vrai que les grandes guerres du XXeme siècle les passionnent.

Pour ma part, ce fut une découverte, et une bonne découverte. Le parcours est très bien conçu, très pédagogique et les pièces exposées sont particulièrement intéressantes.



Bien sûr, comme tous ceux de ma génération (enfin... tous ceux qui écoutaient en classe ou qui ont saisi le sens de l'expression "devoir de mémoire" et son absolue nécessité), je pensais déjà tout connaitre sur le sujet. Et bien en fait... non.
Et oui, même à mon grand âge, on peut encore apprendre des choses (et il parait que continuer à apprendre entretient la plasticité du cerveau, les neurones se feraient ainsi moins vite la malle, ça peut toujours servir).

Le musée réussit l'exploit de faire comprendre la logique de cet illogisme absolu qu'est la guerre.

Bien sûr, chacun va le découvrir à travers le prisme de ses propres convictions, mais se pencher un peu sur un pan de l'Histoire pas si ancien permet indubitablement de mieux comprendre le monde actuel.

Revenons un peu sur cette période, en partant d'un peu avant...

1870, l'Alsace et la Lorraine (enfin, la Moselle diront les puristes) ne sont plus françaises. Vous voyez de quelle guerre je veux parler ? celle qui a disparu pendant des années des manuels d'histoire de France...
Bref, à l'époque, on apprend aux élèves à ne pas oublier ces territoires, qu'il nous faudra un jour récupérer. On ne précise pas vraiment le mode de récupération, mais bon, à toutes fins utiles, on exerce les garçons au maniement des armes. Pas les filles hein, de toutes façons, les filles, c'est bien connu, ça ne sera qu'à faire à manger, élever les enfants et tenir la maison. On y reviendra plus tard...

Alors bon, sur la papier, l'esprit est plutôt sympathique :

La devise est plutôt très bien expliquée, et on ne voit nulle part de volonté belligérante dans cette explication de la notion de nation. OK, ça a un peu merdé par la suite.

Bon, tout ça, c'est bien beau, mais les allemands et les français ont un peu de mal à s'entendre ("ich liebe dich"  n'est pas la phrase la plus connue des français, pas plus que ces derniers ne sont sensibles à la douceur rhénane).

Quelques piques par ci, quelques provocations par-là... On rajoute un peu d'affaire Dreyfus, histoire de commencer à bien diviser le pays. Zola publie "J'accuse", certains essaient de faire germer une conscience humaniste, ce qui ne fait pas franchement l'unanimité.
Deux camps commencent à s'opposer en France vis à vis de l'idée d'aller voir si on ne pourrait pas dérouiller un peu les "boches" : les pour et les anti. Et évidemment, quoi de mieux pour justifier la guerre que de zigouiller celui qui croit à la paix ?


Par-dessus la marché, l'archiduc François-Ferdinand a été assassiné un mois plus tôt à Sarajevo, ainsi que son épouse. (Vous noterez au passage qu'on ne cite jamais son nom à elle, elle n'est que "l'épouse"... ah la place des femmes ! Comme je suis sympa, j'ai cherché pour vous : c'était Sophie Chotek, duchesse de Hohenberg.)

Par le biais des alliances entre pays, c'est toute l'Europe qui se retrouve rapidement prise au beau milieu d'un bordel sans nom. Les uns endorment les autres pour mieux les envahir ("mais non, je ne te ferai pas de mal voyons ! violer, voler, tuer, ce n'est pas faire du mal si c'est fait en toute sympathie, n'est-ce pas ?), chacun déclare la guerre à l'autre ("ah ben je n'ai rien contre toi, perso, mais bon, mon pote t'aime pas alors voilà quoi...") et bam ! la France prononce un ordre de mobilisation générale.

Raymond Poincaré, alors président, explique que la France ne voulait que la paix (cf plus haut, l'entrainement au maniement des armes, tout ça, tout ça...), mais que bon, quand faut y aller, faut y aller.
Voilà qui ne tombe pas très bien, niveau récoltes agricoles, c'est la pleine période des travaux des champs, mais qu'à cela ne tienne, nos braves hommes pensent ne partir que pour un mois et confient donc très provisoirement la logistique à leurs compagnes, mères et filles : "ok chérie, t'en fais pas, ça va le faire, je reviens vite".

Sauf que voilà... ça n'a pas été si rapide que ça... et puis une guerre, ça coûte cher, on a besoin d'armes, de munitions, de vivres et de bêtes. Alors tout est réquisitionné, et ces dames sont cordialement invitées à aller bosser dans les usines et à effectuer les travaux agricoles un peu plus longtemps que prévu.
Pendant ce temps, les soldats servent de chair à canon, pataugent dans la boue, chopent des maladies... Et puis surtout, merci de ne pas vous plaindre, et de ne pas vous casser du champs de bataille !
Ah ben oui hein, celui qui avait le malheur de paniquer et de s'enfuir pour sauver sa peau n'était qu'un traître, et certains ont même été fusillés pour cela (quelques années plus tard, on dira : "oups, c'était peut-être exagéré, s'cusez-nous surtout !").

On a alors recours à un truc extra pour motiver le peuple : les informations. Ils n'avaient pas encore BFM ni les réseaux sociaux, mais ils avaient des journaux, des affiches, des tas de moyens de communiquer... C'est qu'il y en a qui essaient de réfléchir à l'utilité de tout ça et qui commencent à dire que faire la guerre n'est peut-être pas hyper utile.

Alors déjà, on décide de considérer les pacifistes comme des défaitistes, ce sont donc des traîtres à la patrie, zou, on zigouille. Reconnaissons que certes, ça réduit la main d'oeuvre, mais ça fait aussi des bouches à nourrir en moins. Pas si con d'un certain point de vue !

Ensuite, on n'hésite pas à recourir à des arguments totalement scientifiques et bien-fondés, comme celui-ci :


(Si certains d'entre vous se demandent où ils ont déjà entendu ça, je rappelle que c'est exactement le type d'argument utilisé par l'E.I. pour justifier ses actes. Ils sont crétins, mais en plus ils n'ont rien inventé.)

Bah bah bah... aujourd'hui on parle de fake news, mais entre 1914 et 1918, on avait déjà tout pigé du pouvoir de la désinformation... et on manipule d'ailleurs très bien cela. Comment un pouvoir, quel qu'il soit, pourrait-il imposer son point de vue tordu à des millions d'individus, sans propagande ???


Durant ces 4 années terribles dont la terre porte toujours les traces (allez donc visiter les champs et les forêts du côté de Verdun...), des héros/héroïnes se sont révélés, dans les deux camps et pas uniquement dans les batailles. Des femmes ont sauvé des prisonniers, soigné des blessés, transmis des informations, parfois au prix de leur vie.
La médecine a également connu des avancées extraordinaires, c'est qu'il fallait trouver le moyen de sauver le plus d'hommes possible, parce que bon, ça commençait à sentir le roussi quand même.
L'industrie de l'armement et les techniques de guerre ont, bien sûr, considérablement évolué à partir de ce moment-là (oh, les avions ! oh, le gaz ! efficace tout ça !).
Parlons aussi de la tenue de combat... En face, ils avaient compris depuis un moment qu'il valait mieux porter des couleurs un poil discrètes, quand de notre côté, on arborait toujours fièrement des tenues en rouge et en bleu (pour passer inaperçu au milieu de la boue, c'est pas tout à fait idéal). Nous étions hyper modernes... ou pas. Passons.

Et puis quand même, la guerre a pris fin. Des millions de morts, un continent exsangue, au nom de quoi ? je crois que le texte ci-dessous le résume bien :


La guerre finie, les hommes - du moins ceux qui étaient encore en vie- ont pu regagner leur foyer. Ils avaient quand même vaguement l'idée de reprendre leur vie d'avant, comme ils le pouvaient - il faut bien admettre que le suivi psychologique des anciens combattants n'était pas tout à fait au point à ce moment-là.

Donc au retour, ça a été : "coucou chérie, je suis là, tu peux retourner dans la cuisine !!". Durant 4 ans, les femmes ont travaillé partout, ont remplacé les hommes et les bêtes (mais oui, regardez plus haut, je vous ai dit que les bêtes avaient été réquisitionnées... n'empêche qu'il a bien fallu se démerder pour travailler les terres malgré tout !), elles ont juste permis à la logistique de fonctionner, et là, pim pam boum, on nie leurs compétences et leurs aptitudes. C'est tout juste si on daigne reconnaître leur importance durant les 4 années de conflit.
Il était bien évident que les choses allaient changer... ça n'a pas été immédiat, bien sûr, mais oui, même si ça fait mal aux tripes de l'admettre, la guerre a contribué à l'émancipation des femmes. Elles ont vu qu'elles pouvaient s'en sortir sans hommes... et c'est sans doute ce qui a effrayé une partie de la gent masculine. Il faudra certes attendre la fin de la 2eme guerre mondiale pour que les femmes obtiennent enfin le droit de vote en France (droit acquis en 1944, 1er scrutin en 1945), mais c'est bien durant ces 4 années épouvantables que leur position sociale a commencé à évoluer.

Nous sommes donc en 1918, tout le monde en a plein le dos de ces histoires de guerre, plus personne n'a envie d'aller se mettre sur le coin du museau avec le voisin... Surtout que le museau, bien des hommes n'en ont plus ! Ce sont les Gueules Cassées, ces hommes détruits à l'extérieur et morts à l'intérieur.
Bref, on clame que celle-là, c'était la "dernière des dernières" (la "der des der"), ého, ça va bien les conneries, on veut tous rester tranquilles à la maison.

On publie donc de nouvelles affiches, signe incontestable de la volonté de construire une paix solide et durable :


La France ainsi oeuvre à la paix, on pavoise et on humilie le peuple d'en face. Oui mais bon, il l'a bien cherché aussi ! rhoo les allemands ne pouvaient donc pas être français ? ça aurait tout de même simplifié bien des choses et évité bien des morts quand même !

Les années folles passent par là, on s'encanaille, on s'amuse, on fait la fête... parfois on spécule, ici et outre-Atlantique... 1929 : aïe ouille, survient THE méga krach boursier. En Amérique et en Europe, l'argent ne vaut plus rien, on craint de ne plus avoir d'emploi, on a peur de subir la famine... on commence à regarder ceux qui semblent avoir plus... puis ceux qui n'ont pas vraiment la même religion... On se persuade petit à petit que celui qui a plus est également celui qui n'a pas la même religion...

Et puis en 1933, un p'tit bonhomme prénommé Adolf accède démocratiquement au poste de chancelier de l'Allemagne...


En conclusion, les masses finiront-elles par comprendre d'où elles viennent et ce que sont les fondements de nos sociétés ? Se souviendront-elles un jour que la haine et le repli sur soi n'apportent que le chaos et la destruction ?

Et vous, êtes-vous persuadés qu'apprendre l'Histoire est inutile ?



Pour visiter le musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux, cliquer ici : renseignements

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