Le temps du deuil

Un jour ou l'autre, même si nous refusons de l'admettre, nous y sommes tous confrontés : la perte d'un être cher.
Tous, nous affronterons cette paradoxale brûlure glaçante après laquelle plus rien n'est comme avant.


Il y a beaucoup de lieux communs autour du deuil : il faut laisser faire le temps, il faut exprimer son chagrin, laisser couler ses larmes... Tout cela est vrai, mais pas si simple, et vivre le deuil reste immensément douloureux. 
Pour ma part, plus les années passent, et plus j'ai du mal à exprimer ma douleur quand la vie m'arrache ceux que j'aime. Il me faut un temps infini pour que la douleur s'estompe - elle ne s'efface jamais totalement, mais laisse peu à peu la place à une sorte de nostalgie douce-amère. Je n'arrive pas à pleurer autant que nécessaire pour "sortir" le chagrin. En fait, cela fait si mal que j'ai l’impression que si je laisse libre cours à ma peine, je vais m'étouffer dedans.

Le deuil, en psychologie, est caractérisé par 7 étapes : le choc/déni, la douleur/culpabilité, la colère, le marchandage, la dépression/douleur, la reconstruction et enfin l'acceptation.
Dit comme cela, on pourrait croire que les étapes passent les unes après les autres, comme on coche les tâches accomplies sur une to-do list. Bah, en fait, non. C'est un va-et-vient permanent de l'une à l'autre, on croit avancer et patatras, on retombe en arrière.
L'injustice, l'incompréhension de la mort nous rattrape, et c'est un maelstrom de sentiments douloureux qui s'enchainent en permanence.
Parfois, on se sent bien, et sans aucune raison, le chagrin nous attaque par surprise, venant nous vriller le cœur un peu plus. Il faut du temps -variable d'une personne à l'autre- pour que s'estompe peu à peu le mal que cela fait.

Quand on parle de douleur, c’est vraiment le mot adapté : perdre un être que l'on aime, ça fait mal. Très très mal. Et aucun médicament ne peut annihiler la peine. Nous n'avons pas d'autres choix que d'encaisser.

Oh, bien sûr, on continue à rire et à sourire, on recommence à voir sa famille, ses amis, à faire la fête... Pourtant, à l'abri des regards, notre cœur reste serré, notre gorge nouée, nos yeux piquent souvent, le sommeil se fait la malle, l'appétit n'en fait qu'à sa tête... On continue à vivre malgré la peine, on avance, un pas après l'autre.
Le soutien des autres est quelque chose d'essentiel ; être entourée dans ces moments si difficiles, être porté par cette espèce de vague d’amour qui se forme, ça n'enlève pas le chagrin, mais ça le rend bien moins lourd à porter.

On est aussi aidés par le fait que si notre monde a changé d'axe, le monde, lui, continue de tourner. On voudrait parfois hurler que ce n'est pas juste, on voudrait que plus rien ne nous atteigne, on voudrait se recroqueviller sur nous-mêmes dans un effort désespéré et illusoire de se protéger.
 
Pourtant, on se force à reprendre le cours de nos vies malgré l'absence. Le jour se lève et se couche, les semaines et les mois défilent. Parfois, on ne s'en rend pas compte, parce que notre temps à nous s'est comme suspendu. Il y a un "avant" et un "après", et c'est irrémédiable.
Je ne crois pas que l'on se remette un jour de la perte d'un être cher, je crois que l'on apprend simplement à vivre sans lui.
 
Le cycle des premières fois "sans" est difficile, si difficile : premier anniversaire, premier Noël, premières vacances... ce sont autant de situations dans lesquelles l'absence de celui qui n'est plus nous cingle violemment. Pourtant, on les affronte, découvrant la résilience dont on ignorait qu'elle était en nous.
 
Le deuil nous ramène également à notre condition de mortel, nous renvoyant en pleine face le fait que nous ne sommes pas éternels. Et quand la génération d'avant disparait, on commence à se dire que la suivante, c'est la notre. On compte les années passées, et il est facile de s'effrayer de la vitesse vertigineuse du temps qui passe.
Le piège serait de se laisser abattre, d'être rattrapé par cette implacable vérité de notre propre fin, et de cesser de vivre avant même d'être mort. 
Au contraire, profitons de chaque instant, savourons ce que nous avons, recentrons-nous sur ce qui nous fait du bien, montrons à ceux qu'on aime qu'on les aime, n'oublions pas de le leur dire surtout. Faisons la fête, l'amour, célébrons la vie sous toutes ses formes. Nous sommes ici, alors vivons nos vies à fond, saisissons toutes les opportunités de rire, de penser, d'être heureux. Sachons repérer les petits riens qui font le sel de l’existence et n'attendons pas toujours quelque chose de mieux ; Horace avait bien raison de clamer "carpe diem".

Chacun croit ce qu'il veut ; pour moi, il est inconcevable de me dire que la mort est une fin en soi, et que seul le néant lui succède. Il y a forcément un sens, autre chose, une renaissance, un espoir, une lueur.

Et quelle que soit la force de la douleur, je reste intimement convaincue que nos morts restent éternellement en vie dans nos cœurs.





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