Chacun son tour !

 Quand j'étais enfant, c'est sa main qui serrait ma petite menotte, qui me guidait et me rassurait. Aujourd'hui, ma main a grandi, et la sienne s'est affaiblie, et je suis désormais devenue son guide et son repère.
 


Le temps passe et nos rôles s'inversent. Sa mémoire est défaillante, mais son visage s'éclaire toujours quand il me voit. Son corps n'a plus beaucoup de force, mais désormais il s'appuie sur moi.
 
Bref, c'est chacun son tour ! Il a veillé sur moi toute sa vie, et les rôles se sont inversés. Je ne suis pas sûre d'être aussi forte que lui l'a été, mais je fais de mon mieux.
Ce n'est pas facile tous les jours ! En tant que maman, je culpabilise de ne pas passer plus de temps avec mes enfants qui grandissent vite... l'un d'eux atteint déjà l'âge adulte (mon bébé !!!). En tant que fille, je culpabilise de ne pas consacrer plus de temps à mon papa. Je fais ce que je peux, en essayant de ne pas me perdre en chemin et de garder des moments pour moi. Certains me trouvent égoïste (mon cheval, mes balades...), mais sans ces moments de respiration indispensables, je deviendrais totalement folle moi ! alors je laisse parler. De toutes façons, quoi qu'on fasse, il y aura toujours de mauvais esprits pour critiquer.
 
Accepter le temps qui passe sans s'angoisser, rester dans le moment présent, dans l'instant, ne pas ressasser le passé ni s'inquiéter d'un futur dont on connait globalement l'issue... oui, finalement, devenir l'aidant de son parent, c'est aussi apprendre à savourer chaque seconde, au moment où elle est là.
Je ne dis pas que je vis toujours bien la situation, certains jours sont plus durs que d'autres. Affronter ses hallucinations, entrer dans son jeu pour ne pas le rendre triste, tout faire pour le voir sourire ou rire... Ce n'est pas facile, mais si on regarde bien, c'est ce qu'il a fait, lui aussi, en tant que papa. 
Je suis bien certaine que je lui ai donné mille et une occasions de se faire un sang d'encre à mon sujet : quand je me suis trouvée chez une méchante nourrice, quand je suis entrée à l'école, quand j'hésitais sur l'orientation à prendre, quand j'ai commencé à sortir, quand j'ai commencé à conduire, quand les garçons ont commencé à faire partie de mon paysage, quand je tombais de poney...

A bien y regarder, la roue tourne, à l'image d'un grand cercle qui rebat les cartes : ce sont les mêmes joueurs, avec des donnes différentes. Nous sommes les mêmes, mais un peu différents. 
L'injustice se trouve dans l'inégalité face au grand âge : certains glissent au fil des années sans déchéance, quand d'autres sont grignotés par des maladies dégénératives.

Malgré tout, chacun de ses sourires ridés, chacune de ses paroles, même hésitantes, chacune de nos rencontres s'ancrent en moi plus solidement qu'un tatouage. 

Oui, vraiment, c'est chacun son tour : il m'a guidée vers le monde adulte, je l'accompagne sur le chemin de la vieillesse. Dans un cas comme dans l'autre, malgré les écueils, il n'y a qu'une seule chose qui prime : l'immense amour entre nous. Chacun son tour de le montrer à l'autre... et ça, ça pourrait s'appliquer dans bien d'autres domaines.

Je vous laisse méditer sur ces modestes pensées... chacun son tour de réfléchir sur ce qui, finalement, n'est peut-être que l'un des sens de la vie...

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