La proie du doute

 J'avais déjà évoqué la douleur et les doutes face à la maladie touchant un parent vieillissant (c'est ici et ).
Je redoutais terriblement le moment où il faudrait me résoudre à faire entrer mon père dans une maison de retraite. J'ai fait l'autruche. C'est bien de faire l'autruche, ça éviter de voir ce qui fait mal. Je me suis dit que ça allait , qu'il y avait encore du temps.
 
mon horizon actuel : brumeux, très très brumeux...
 
J'ai commencé à visiter quelques EHPAD, comme ça, pour me faire une idée, en me disant que "ah ben oui, c'est pas mal comme cadre, et puis ces activités et ces prises en charge me semblent bien, mais bon, ça va, c'est pour plus tard hein, Papa est tellement bien chez lui". 
Le COVID est en plus passé par là, alors j'avais arrêté toutes les démarches. Ce n'était pas grave puisque "on avait le temps".

Et puis il a fallu augmenter petit à petit les aides à domicile : après l'aide au ménage, puis la livraison des repas, l'entretien du jardin...sont venus l'aide à l'habillage, à la toilette, à la prise des repas... Nous en sommes arrivés à plus de 50 heures d’intervention par semaine. Et puis, inexorablement, la sable s'est écoulé dans le sablier, et la maladie a fait son chemin.
Aujourd'hui, cela devient très difficile. Mon père perd la conscience de son propre corps, et son esprit a une furieuse tendance à se faire la malle. Peut-être que ce serait jouable si je vivais près de lui, mais là...

La décision est prise, il faut le placer.

Je ne sais pas si c'est la bonne solution, ni même s'il y a une bonne solution. J'ai le sentiment d'être une affreuse salope égoïste qui se débarrasse d'un problème. Oh, je sais, il sera près de moi, ce sera plus facile de le voir plus souvent, et ça va solutionner les difficultés purement logistiques que je rencontre aujourd'hui. Mais ce choix est tellement difficile à faire ! j'ai tellement peur de mal faire et que mon papa en souffre, ou pire, qu'il m'en veuille de l'arracher à son chez-lui...

Bon gré mal gré, j'engage donc les démarches, je compte, je calcule, j'anticipe (si tant est qu'on puisse anticiper quoi que ce soit !). Il n'y a pas vraiment de choix, les aides financières ne permettront pas de couvrir les frais d'EHPAD, il faudra donc vendre la maison. D'ailleurs, je me demande comment font les familles avec de petits moyens, sans patrimoine immobilier à céder, mais c'est un autre sujet.
Vendre la maison. Rien de plus simple en apparence. Sauf que cette maison, c'est ma maison, celle où j'ai toujours vécu avant de m'envoler pour ma vie d'adulte.
Je n'y ai pas toujours été heureuse, mais c'est ma maison quand même. M'en séparer est un crève-cœur. Et que dire des objets, bibelots et tous les souvenirs qui y sont rattachés ? je sais que les souvenirs les plus beaux sont ceux que l'on a en tête, mais malgré tout, les objets sont une preuve, un moyen de transmission, un héritage du passé qui traverse le présent pour rejoindre le futur.
Des étrangers habiteront "ma" maison, ils ne connaitront pas son histoire, ils ne se souviendront pas des repas gargantuesques dans le garage ni des fêtes de nouvel an, les rires et les pleurs parfois cachés dans le secret de ma chambre ; ils ne sauront pas que les sapins viennent d'une forêt familiale, ils ne sauront pas non plus que j'ai développé toute mon imagination dans le jardin, en jouant au Club des Cinq seule ou avec ma super copine de toujours. Ils ne sauront pas que des chiens y ont gambadé heureux, silencieux complices et gardiens de mes secrets de petite fille et d'adolescente.

C'est un chapitre de ma vie que je m'apprête à clore. Peut-être que j'ai peur de perdre mes racines en n'ayant plus de point d'attache dans ce village. Je ne sais pas, mais c'est douloureux.

Le plus difficile, c'est de réduire encore l'autonomie de mon père. Lui retirer la voiture avait déjà été très difficile, lui retirer sa maison l'est encore plus. Il est encore là, même si ce n’est plus vraiment lui, et j'ai l'impression de le priver de sa propre vie. Ce n'est pas vrai, bien sûr, je n'ai pas voulu qu'Alzheimer s'attaque à lui, mais devoir choisir à sa place me donne systématiquement un affreux sentiment de culpabilité.

Tout ceci entraine un sentiment incessant de ne pas savoir et de n'avoir aucune certitude. Ce doute permanent est insoutenable. Je voudrais croire aux miracles, mais l'issue ne sera pas bonne et fera mal, très très mal.
Des milliers de personnes vivent la même chose que moi, mais ça ne rend pas cela plus facile. Je crois avoir tout fait pour maintenir mon père chez lui le plus longtemps possible. Ce qui lui arrive est injuste, cette maladie est injuste. Vieillir ainsi est injuste.

Peut-être que dans quelques mois, une fois que cela sera fait, qu'il sera dans son nouveau chez lui et que la maison ne sera plus la notre, les choses seront plus simples. Je l'espère en tous cas.
Malgré tout, je suis intimement convaincue que je serais hantée jusqu'à la fin de mes jours par la terrible question : "et si...".

Commentaires

  1. Comme je "me reconnais" dans chacune de vos paroles... Je tenais également un journal, tout comme vous, écrire me permettait d'évacuer... Quand je le relis maintenant, je ne me pose plus la question "et si..." ; et si rien finalement, c'est la vie...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci de ce commentaire. Vous avez raison, il n'y a pas de "et si", il y a seulement la vie...

      Supprimer

Enregistrer un commentaire